La peinture et moi

"Les causeries sur l’art sont presque inutiles. On n’est ni trop scrupuleux, ni trop sincère, ni trop soumis à la nature, mais on est plus ou moins maître de son modèle et surtout de ses moyens d’expression. " - Cézanne à Emile Bernard – 26 mai 1901

"Un siècle plus loin, les causeries sur l’art sont encore "presque inutiles"; à l’ère de la dématérialisation galllopante, c’est toute une culture graphique qui disparaît au profit du virtuel. Bien que déjà vestige artistique et affectif d’un temps révolu, au risque de sembler démodée, ce matin encore, je choisis la peinture comme moyen d’expression." – Asteggiano

Si les peintres se mettent à écrire, que restera-t-il aux écrivains ? "Les mots disent si peu de choses qu’ils ne savent faire que du bruit" - Tagore Je ne pense pas que ce soit au peintre de parler de sa peinture mais au "regardeur "; pour ma part, Il m'est quasi impossible de le faire avec le même recul que s'il s'agissait de celle d’un autre peintre, simplement parce qu'elle fait partie de moi. Si elle existe c'est probablement afin de pallier un certain nombre de sentiments indicibles, de choses qui restent du domaine du ressenti, du non-dit, parfois de l'inconscient. Tout se passe comme si le pinceau directement mû par ce dernier avait décidé d'exprimer ce que la voix ne peut pas dire. Ce dernier point vient en opposition avec l'expérience vécue par Artemisia Gentileschi " Pour voir il faut des mots ". La peinture c'est des émotions et les émotions ne sont pas toujours faciles à traduire par des mots. "La peinture - comme toute autre création, me semble avoir une source unique : l'histoire propre de l'homme qui l'a créée, c'est-à-dire que le peintre, sur la toile raconte une histoire, la sienne. Plus cette histoire et intime et profonde et plus l'œuvre est réussie… " – Ackerman

La peinture s'évade des lignes des croquis préliminaires et choisit un style ; c’est elle qui commande au peintre et s'impose à lui, souvent de façon inconsciente, c’est une peinture quasi indépendante. La peinture n’est pas uniquement une technique ; c’est un acte par lequel on se donne tout entier. J’ai besoin de ce plaisir du peintre, de cet espèce de "combat" livré au-delà du réel avec la toile, les medium… de cet état second où plus rien d’autre n’existe que ces instants intenses dans cette solitude où l’on n’est plus maître de rien, mais à la fois de tout, jusqu’à l’aboutissement de la toiles qui en décide d’elle-même et que l’on découvre soudain comme peinte par quelqu’un d’autre !

"On a dû te dire qu'il fallait réussir dans la vie, moi, je te dis qu'il faut vivre. " – Giono
Moi, je peins pour vivre !

Un tableau n'est pas un investissement financier, un tableau c’est, avant tout un plaisir que se fait le peintre. S’il nous correspond et peut, par là, devenir autre chose que l'on risque de voir tous les jours, avons-nous tous les mêmes goûts ? Les cœurs des gens sont-ils tous les mêmes ? Un tableau, c'est un coup de cœur. Ce n'est pas un lingot d'or que l'on met dans un coffre en attendant une plus-value, ce n'est pas non plus quelque chose qui doit être forcément assorti au tapis ou au canapé du salon. Un tableau, c’est un cœur à cœur, et, s'il n'y a pas cette conversation entre vous et la peinture que vous regardez passez votre chemin, elle n'est pas pour vous ! Comme le disait Bonnard, " Chaque créateur ne s'adresse qu'à quelques-uns. En créant son propre monde l'artiste authentique crée en même temps le nôtre… comme un refuge collectif…

Pourquoi l’art est-il beau ? Pourquoi le peint, l’écrit, le sculpté, le chanté ont-ils un tel pouvoir sur nos âmes et nos esprits ? N'est-ce pas là tout le mystère de l'Art ? Un univers qui incite au questionnement et qui s'accommode mal des certitudes. L'avenir de l'homme se joue aussi dans la toile.
Chaque créateur a une raison profonde le motivant à la création… Alors, "Aimez-vous ou n’aimez-vous pas, l'art ne vous pose pas cette question." - Malevitch Qu’aurait bien pu écrire Cézanne, qui, en schématisant à l’extrême, presque toute sa vie a peint des pommes et la montagne Sainte Victoire ? Préférerait-on accrocher au mur de son salon cinquante pages de sa plume ou cette toile dans laquelle il a mis tout son cœur, tout son talent, toutes ses interrogations, toute sa vie ?! Devenant aveugle Monet aurait-t-il dû apprendre le braille afin de sacrifier à une "démarche" plutôt que de s’accrocher à ses pinceaux, pour pouvoir continuer de vivre et nous offrir ses fabuleux nymphéas ?

La peinture, c’est ce "p’tit coin d’paradis" à la Brassens ; ce sont des pensées posées en couleur sur une toile. Ces idées pour lesquelles on ne voudrait pas mourir nous feraient-elles vivre ? ? Une " démarche " tue la spontanéité, enferme dans un carcan. Alors si ma démarche de peintre était tout simplement d’oublier les discours et de peindre, peindre, peindre et peindre encore simplement pour me faire plaisir et vivre égoïstement ces moments de grâce, juste pour mettre de la couleur sur une toile, du rêve sur les murs de ma vie et rien d’autre avec parfois le bonheur du partage !? Et si ma vie ne dépendait que de cette couleur?! Et si je ne pouvais vivre sans mes pinceaux ?! Bref, hormis le respect des règles de l’Art, si ma démarche était tout simplement de n’en pas avoir ?! "Pour faire le portrait d’un oiseau" du pays de Prévert, la réussite du tableau ne dépend-elle pas uniquement du fait que l’oiseau chante ou NON ?!